Parce que ce sont des femmes, on a commenté leurs voix, leurs cheveux, et évidemment, leurs vêtements. Si ce phénomène est toujours d'actualité comme le montre le meeting de Valérie Pécresse en février 2022, il est en fait très ancien et remonte aux premiers pas des femmes à l'Élysée en 1936. C'est ce que démontre l'historienne de la mode Sophie Lemahieu dans son livre S'habiller en politique - Les vêtements des femmes au pouvoir. 1936-2022, édité par le Musée des Arts Décoratifs, en partenariat avec l’École du Louvre.
Alors que les femmes n’ont pas encore le droit de vote, Léon Blum nomme pour la première fois en 1936 trois femmes au gouvernement. Cécile Brunschvicg, Suzanne Lacore et Irène Joliot-Curie se doivent de respecter les convenances que l’époque impose aux femmes.
Sophie Lemahieu : "Ce qui est intéressant, c’est que ces femmes viennent d’arriver au gouvernement et on a déjà des commentaires qui apparaissent dans la presse sur leurs vêtements. Pas directement sur leur tenue féminine parce que c’est tout à fait normal pour l’époque, mais ça va être sur de petits éléments et notamment sur leur chapeau. À ce moment-là, il y a des règles de convenances pour le port du chapeau, tout le monde porte un chapeau quelle que soit sa condition sociale. Or, les femmes doivent rester couvertes, c’est-à-dire garder leur chapeau quand elles entrent dans certains lieux publics. Que va-t-il se passer à l’Assemblée nationale ? Est-ce qu’il faut qu’elles gardent leur chapeau comme il se doit pour les femmes ou qu’elles fassent comme les hommes qui sont beaucoup plus nombreux qu’elles ?"
Les trois sous-ministres adoptent parfois les codes masculins et n’ont pas à porter le chapeau à l’Assemblée. Une victoire saluée par la presse : "Finalement, il fut décidé que l’on ne ferait pas de différence entre les sous-secrétaires d’État féminins et les députés. Et voilà une nouvelle victoire du féminisme !" peut-on lire dans le Paris midi du 7 juin 1936.
Contrairement à leurs confrères masculins, on questionne souvent les femmes politiques sur la mode comme le montre une interview de la députée Odette Launey en 1966.
-Vous intéressez-vous encore beaucoup à la mode ? -Oh oui, très, absolument. J’estime qu’une femme doit rester féminine et ce n’est pas parce qu’elle est dans la politique, qu’elle doit perdre le sens du mot femme. Elle ne doit pas l’oublier.
Les femmes adoptent le pantalon dans les années 1960. Vêtement fermé, il offre une plus grande liberté de mouvement, protège les jambes des regards et donne de la force à celle qui le porte. C’est ce qu’a bien compris Michèle Alliot-Marie qui devient en 1972, la première femme à entrer dans l’Assemblée nationale en pantalon.
Sophie Lemahieu : "L’huissier à l’entrée de l’Assemblée nationale n’aurait pas voulu la laisser rentrer à cause de sa tenue. Ce à quoi elle aurait répondu : 'Si c’est mon pantalon qui vous gêne, je l’enlève dans les plus brefs délais.' On a fini par la laisser entrer, évidemment. C’est le début d’une masculinisation des femmes dans le milieu politique. C’est un moment où, pour se légitimer, pour être mieux écoutées, elles vont préférer prendre l’apparence des hommes à un moment où ça commence à être possible, donc à porter des vestes, des pantalons, quelque chose qui ressemble beaucoup aux costumes sombres des hommes."
Même pour les femmes qui n’adoptent pas le pantalon, les coupes sont droites, strictes et la constance est de mise pour afficher un certain sérieux, comme l’illustre l’éternel chignon de Simone Veil ou plus récemment la sobre veste aux trois boutons d’Angela Merkel.
En 1991, pour la première fois une femme, Edith Cresson, est nommée Première ministre. Une nomination qui ne se fait pas sans de nombreux commentaires sur sa tenue.
Sophie Lemahieu : "Edith Cresson va elle aussi subir de très nombreuses critiques à ce poste où elle va rester à peine un an. Au final, les années 1990 sont assez difficiles parce que c’est une nouvelle conquête pour les femmes, c’est le moment où on commence à parler de parité notamment en politique, pour être représenté autant par des hommes que par des femmes."
Les vêtements féminins sont de nouveau un atout, et si le tailleur-jupe reste la norme, la couleur devient un choix stratégique.
Sophie Lemahieu : "La couleur arrive tardivement, surtout à partir des années 1990, à un moment où les femmes politiques assument justement le fait d’être des femmes en politique et pas seulement des personnes en politique. À partir de là, pour se rendre visibles elles vont utiliser la couleur, souvent à travers une veste, un chemisier, une blouse mais beaucoup la veste qui est au-dessus, qu’on voit beaucoup et qui va leur servir à être vues et donc mieux entendues."
Depuis MeToo et les vagues de dénonciations du sexisme, le fait de pouvoir s'habiller librement sans subir de jugement est une revendication chez les jeunes femmes y compris chez les femmes politiques.
Sophie Lemahieu : "Elles veulent pouvoir porter des pantalons comme des jupes, comme des motifs, comme des couleurs sombres et cela n’est pas censé avoir d’importance puisqu’au départ c’est leurs discours qu’on est censé écouter et non commenter leur apparence, donc elles vont de plus en plus se défendre quand il y a une attaque et ça c’est quelque chose d'assez nouveau. Si on remonte quelques années en arrière, en 2012, Cécile Duflot, qui est alors ministre du Logement, est huée à l’Assemblée nationale pour la robe qu’elle porte. Tous les codes sont respectés par cette robe et pourtant elle est huée par les députés qui sont ses adversaires. Aujourd’hui, une telle situation se reproduirait, la femme politique en question, rétorquerait sans aucun doute."
Cette fragile liberté vestimentaire n’est cependant pas acquise pour toutes les femmes en politique, les tenues des Premières dames sont toujours soumises aux critiques acerbes.
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